A grand renfort de médias, le ministre BLANQUER a ressorti sa mesure phare du temps où il était recteur à Créteil et dont l’expérimentation n’avait convaincu que 120 établissements sans résultat significatif. Il s’agit bien sûr du serpent de mer : école le matin et SPort l’Après Midi (SPAM).
Comme tous les chantiers ouverts par le ministre BLANQUER, il s’agit une fois de plus d’une mesure présentée comme de « bon sens » mais qui en fait, à la lumière de quelques éléments, s’en éloigne tout aussi vite que les clichés nous en avaient rapprochés. Il en ressort en effet une idéologie nettement plus conservatrice que progressiste.
Le sport comme négation d’une culture scolaire de l’activité physique
Derrière cet affichage angélique pour tous les non-initiés aux enjeux de notre discipline, se cache en fait une possible idéologie moins reluisante. Celle-ci pourrait à l’avenir nier l’existence légitime d’une culture scolaire de l’activité physique. En effet, SPAM consisterait à aménager deux temps dans la scolarité des élèves : un temps intellectuel (le matin) et un temps sportif (l’après midi). En ce sens, il ferait renouer l’école avec un dualisme cartésien et une hiérarchie des disciplines révolus. En effet, le corps, le sport, l’activité physique, les émotions qu’ils suscitent, … sont aujourd’hui considérés comme des éléments essentiels d’une culture scolaire qui doivent pour une meilleure acquisition se mêler aussi bien dans les espaces que dans les temps avec les autres disciplines scolaires. Et pour cause ! Ils n’ont pas seulement un impact sur le développement physique, le plaisir et le maintien en bonne santé mais aussi sur la culture générale et le développement cognitif et langagier des élèves. C’est d’ailleurs également pour ces raisons qu’un corps de professeurs d’EPS a rejoint l’Éducation Nationale en 1981 afin de prendre en charge un enseignement requérant une maîtrise interdisciplinaire importante et une connaissance transversale des Pratiques Physiques Sportives et Artistiques. Revenir à une organisation où le corps serait traité indépendamment de l’esprit et où sa place diminuerait dans les enseignements, consacrerait un retour en arrière vers une idéologie réactionnaire niant la place essentielle de l’activité physique dans le développement intellectuel des élèves mais aussi niant la culture sportive et physique comme élément essentiel d’une culture commune. C’est pourtant bien ce que semble mettre en place mesure après mesure le ministre BLANQUER. La diminution des horaires EPS en LP, la suppression des évaluations spécifiques de l’EPS au DNB et au Bac, la suppression des enseignement d’exploration et d’approfondissement au lycée, … en sont des exemples concrets. Si SPAM devait s’ajouter à la liste, cette mandature acterait une vision incroyablement rétrograde qui isolerait l’EPS des autres disciplines dans un temps à part tel que cela n’existait plus en France depuis très longtemps. Cet isolement, outre les difficultés insolvables qu’il soulèverait en terme d’équipements sportifs disponibles, nous laisserait également une nouvelle fois penser qu’un de ses objectifs serait de répondre à une libéralisation croissante de l’Éducation en externalisant tout ce qui peut l’être, l’EPS en tête. Le risque serait grand et désastreux pour la pratique physique de tous.
Le sport comme outil de tri social
Contrairement à ce qui est sans cesse martelé dans les médias afin de légitimer les réformes libérales de notre système éducatif, le niveau des élèves n’a pas baissé. Les meilleurs élèves sont toujours parmi les mieux formés des pays de l’OCDE et attirent toutes les grandes entreprises. Le niveau moyen des élèves augmente. Cependant, les inégalités se creusent avec les élèves les plus en difficulté qui requièrent une prise en charge plus soutenue.
Pour réduire ces inégalités, le ministre BLANQUER a fait le choix de concentrer toutes ses marges de manœuvre budgétaire en Éducation Prioritaire sur le dédoublement en CP et CE1, arguant que les inégalités scolaires n’étaient que le fruit d’une acquisition incomplète des fondamentaux : lire, écrire, compter. Bouger n’en est pas un pour lui … A moyen constant, la FSU l’invitait plutôt à maintenir et renforcer une politique d’accompagnement personnalisé de haut niveau tout au long du cursus scolaire de l’élève. Pour cela, elle mettait en avant également l’influence importante au fil de la scolarité d’un capital culturel et économique familial dans le creusement des inégalités scolaires.
Aujourd’hui, réforme après réforme le ministre BLANQUER accentue cette vision d’un système qui au delà des simples fondamentaux doit traiter les élèves avec un égalitarisme quasi religieux renonçant à compenser les inégalités persistantes ou naissantes. Chaque famille, chaque élève est responsabilisé dans ses choix sans que l’institution soit renforcée pour les y aider. Les mesures en ce sens s’accumulent : complexification du choix de l’établissement, complexification du choix des enseignements, complexification de la poursuite d’étude dans le supérieur (parcoursup, augmentation des frais d’inscription, …), réduction des enseignements généraux permettant la réorientation, réduction du taux d’encadrement par l’augmentation des effectifs et l’augmentation des heures supplémentaires des enseignants, … Sans doute existe-t-il des raisons austéritaires mais l’accumulation, une à une, de réformes poursuivant la même logique libérale nous permet avec de moins en moins de doutes d’affirmer qu’une logique de tri social pourrait être à l’œuvre dans la politique du ministre BLANQUER. Un tri social entre ceux qui sont adaptés au système car disposant d’un capital culturel et économique adéquate et les autres.
SPAM pourrait s’inscrire dans cette logique libérale qui érige chacun comme seul responsable des choix qu’il fait pour lui ou ses enfants. En effet, la pratique physique y serait volontaire et par conséquent ce serait les élèves et leurs familles qui devraient choisir de s’y inscrire ou non. Or, le choix de faire pratiquer à son enfant telle ou telle pratique physique (ou carrément aucune) n’est pas neutre d’un point de vue du capital social et économique. Le choix du ministre serait par conséquent encore une fois de favoriser une école qui trie socialement plutôt qu’une école qui corrige les inégalités. Une école des fondamentaux plutôt qu’une école d’un socle commun de connaissances réellement émancipateur. C’est un véritable renoncement idéologique. L’abandon de valeur humaniste qui exigeait de notre système scolaire qu’il corrige les inégalités liées au capital culturel et économique bien au delà des simples fondamentaux. L’abandon d’une école construite prioritairement pour les élèves n’ayant que l’école pour réussir. L’image trompeuse du sport favorisant l’émergence des classes populaires à haut niveau ne doit pas être confondue avec la réalité des pratiques de masse et de l’entre soi social qu’il génère dans la société s’y nous n’y prenons pas garde. Nous ne pouvons accepter qu’un dispositif de tri social tel que SPAM puisse se mettre en place progressivement en lieu et place d’une EPS obligatoire pour toutes et tous.
Le sport comme outil d’un nouveau paternalisme hexagonale
A propos de SPAM, ce qui nous interpelle encore un peu plus et nous inquiète, ce sont les réactions que nous avons suivi en sa faveur dans notre archipel Guadeloupéen. Ces réactions, souvent très peu voire pas du tout argumentées, ne semblent s’inscrire que dans une volonté de renouveau voire de modernisme s’affranchissant d’une réflexion plus approfondie sur l’intérêt pour les élèves d’une telle refonte des rythmes scolaires. Si nous défendons une Éducation et des programmes nationaux, riches de la diversité culturelle de tous les territoires de la République, nous défendons également l’idée d’une mise en application intelligente et adaptée à notre contexte régional. Pour cela, il nous faut encore une fois ici rappeler que les éléments essentiels à prendre en compte pour un enseignement d’EPS sous nos latitudes sont la chaleur et le manque d’équipements sportifs couverts disponibles. En effet, il est régulièrement mesuré par les enseignants d’EPS sur les plateaux sportifs, pendant la pause méridienne et durant l’après midi, des températures dépassant les 30°c. Cette température est fixée pourtant comme un maximum par les médecins pour pratiquer dans des conditions bénéfiques pour la santé. Ces températures montent même à 50°C régulièrement. Si ces mesures sont aussi importantes c’est qu’il nous faut également rappeler que notre archipel ne dispose que de 3 installations sportives pour 1000 habitants quand l’hexagone en compte 5 pour 1000. Il manque par conséquent 800 installations sportives en Guadeloupe pour rattraper notre retard d’équipements et parmi elles une grande majorité d’installations couvertes.
SPAM s’il devait se concrétiser au niveau national et s’appliquer en Guadeloupe, consisterait alors en un nouveau paternalisme hexagonal sportif ne tenant aucun compte du contexte régional. C’est pour nous inacceptable et régressif pour nos enseignements. Comment donner plaisir, envie, faire entrer nos élèves en réflexion pour résoudre les problèmes posées par les APSA, … alors que la réverbération du soleil et la chaleur les placent d’emblée dans des conditions de pénibilité dignes d’un autre siècle. Aucun adulte ne l’accepte aujourd’hui. Aucun sportif ne s’entraîne à ces heures délibérément. Nous le constatons tous les jours quand nos chefs d’établissement, collègues viennent nous donner une information sur nos espaces sportifs non couverts … A peine l’information transmise et les 1ère suées acquises qu’ils nous font comprendre que si nous souhaitons poursuivre la conversation la climatisation de la salle des profs ou de leur bureau serait plus adéquate … Pas pour les élèves visiblement …
SPAM est une mauvaise réponse à des questions qui ne se posent pas …
SPAM est donc pour nous une très mauvaise réponse à des questions qui ne se posent pas … L’inclusion de l’EPS dans le temps scolaire ne pose pas de problème et répond au contraire à une exigeante culture scolaire. Cette inclusion pourrait cependant encore être facilitée par les collectivités locales en investissant dans des installations sportives de proximité plutôt couvertes dotées de vestiaires, de douches, de points d’eau et d’ombres mais aussi dans des salles de cours confortables (climatisation, insonorisation, …) facilitant la récupération après l’EPS. Cette inclusion de l’activité physique dans la société est d’ailleurs de plus en plus développée dans les entreprises avec des salles ouvertes et en libre accès à toutes heures de la journée pour leurs salariés : avant, après les réunions, plusieurs fois par jours, …. Des moments de mise en activité corporelle et collective sont d’ailleurs la norme dans de nombreux pays d’Asie et ont lieu dès le matin …
Le SNEP-FSU Guadeloupe s’oppose donc à cette vision d’une école du tri social par le sport et invite plutôt le ministre BLANQUER à améliorer l’EPS pour tous les élèves en :
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