20/04/2018
Séminaire : Repenser l’EPS au Lycée
Parce que le lycée est encore aujourd’hui le lieu de la fin de la scolarité obligatoire, il est également encore aujourd’hui le lieu d’affrontements idéologiques exacerbés car représentant un trophée inestimable pour les protagonistes politiques de cette lutte. L’actualité nous en montre une nouvelle fois un exemple manifeste. Le curriculum de formation des élèves, les programmes, le mode d’évaluation, le baccalauréat mais aussi l’accès aux études supérieures sont autant de raisons de montrer pour les hommes et les femmes politiques à leurs sympathisants l’hégémonie de leur vision. Peu importe de quel siècle date cette idéologie, si elle exclue une partie de la jeunesse de notre pays, la véracité des sources les justifiants, l’occultation de certaines données scientifiques et statistiques, l’évaluation de son efficacité au niveau international, pourvu qu’elle s’impose et qu’elle donne à ses défenseurs le plaisir égocentrique de triompher.
Encore une fois, nous voyons sous nos yeux ce triste spectacle se dérouler avec une violence symbolique incroyable matérialisée par la négation des corps intermédiaires représentant les collègues et l’expertise du terrain. Pourtant la constance du discours des syndicats majoritaires, le caractère équilibré et structurant de leurs propositions devraient interpeller sur la légitimité de la vision professionnelle qu’ils portent.
Opposer une nouvelle fois dans « la réussite», la responsabilité personnelle de l’élève et celle de la société à travers l’école est une vision stérile.
C’est pourtant encore une fois ce qui se joue dans la réforme du lycée à l’opposé de la logique qui a prévalue au collège pour la transformation en 2006 du socle Fillon en Socle Commun de compétences, connaissances et de cultures. La modularité des parcours de formation, l’évaluation d’attendus non enseignés au lycée, la suppression de l’enseignement d’exploration et de complément sans compensation logique par l’enseignement de spécialité en EPS, le recrutement à travers un CV et une lettre de motivation renvoie inévitablement à la responsabilité individuelle de chaque élève et de sa famille à financer des parcours de formations hors école. C’est par nature, on le sait la porte ouverte à une discrimination accentuée des lycéens de familles défavorisées. C’est qui plus est en contradiction avec la revendication de la réforme d’un meilleur accompagnement des lycéens vers le supérieur et donc les STAPS. Le nier est une pure idéologie qui ne résiste pas à l’épreuve des faits sociologiques.
Hiérarchiser une nouvelle fois les disciplines entre elles en différenciant des enseignements dits fondamentaux des autres est également une vision stérile.
Après les expérimentations « école le matin, sport l’après-midi » ou « accompagnement éducatif », nous pensions que c’en serait fini de la considération comme matière d’éveil de notre discipline. Pourtant, en plaçant l’EPS comme la seule discipline ne disposant pas d’enseignement de spécialité la réforme du lycée poursuit cette hiérarchie disciplinaire. Elle acte à nouveau comme lors du refus de revoir son évaluation au DNB ou celui de réécrire le volet 3 des programmes du collège vidés de ses contenus spécifiques, la volonté de faire de l’EPS la seule discipline chargée seulement d’éduquer aux compétences du socle et aucunement aussi à ses propres contenus disciplinaires. Pourtant, sous l’égide de notre syndicat, l’engouement autour de la production de programmes alternatifs par la profession a montré comment le même équilibre entre socle et compétences spécifiques pouvait exister aussi naturellement que pour les autres disciplines. Notre syndicat craint que la réforme des programmes du lycée à venir acte le même type de programme qu’au collège. Nier l’aspect culturel des APSA est une pure idéologie qui ne résiste pas à l’épreuve des faits historiques et participe à affaiblir notre discipline.
Dénationaliser l’évaluation du système éducatif en renforçant le caractère local du baccalauréat est encore une vision stérile.
Alors qu’en EPS depuis 1983, nous pratiquons le Contrôle en Cours de Formation pour des raisons essentiellement d’accès aux installations et de continuité entre formation et évaluation, de nombreux disfonctionnements remontent et n’ont toujours pas de réponses nationales. Parmi eux, la problématique de référentiels nationaux fiables d’évaluation, les divergences d’évaluation d’un prof à l’autre, d’un établissement à l’autre, les difficultés d’harmonisation, etc … Le séminaire d’aujourd’hui est une des conséquences de l’incapacité de gérer au niveau national ce type d’évaluation et donc par voie de conséquence de la mise en évidence de son caractère local. Comment alors pouvoir affirmer que la généralisation de ce type d’évaluation à une part importante du baccalauréat n’aura pas pour conséquence de créer une valeur locale au baccalauréat ? Comment affirmer que par voie de conséquence chaque diplôme offrira à chaque bachelier la même valeur quel que soit l’établissement supérieur vers lequel il postule ? Affirmer que cette réforme est une avancée pour l’égalité des chances est donc une pure idéologie qui ne résiste pas à l’épreuve des faits économiques et de l’étude des systèmes éducatifs internationaux.
Tordre le coup en permanence aux conclusions scientifiques pour satisfaire aux injonctions pédagogiques politiquement orientées est là encore une pratique stérile.
Interdisciplinarité, pédagogie de projet, méthodes ou écoles de toutes sortes, … On ne compte plus le nombre d’injonctions pédagogiques auxquels les enseignants, même parmi les plus jeunes d’entre nous, ont déjà dû se conformer. Avec à chaque fois des transmetteurs institutionnels dévoués qui déploient des trésors d’ingéniosités et de PowerPoint pour nous convaincre que cette fois-ci c’est la bonne, que la précédente injonction – celle parfois du début de l’année – était en fait une erreur et que celle-ci devrait faire date. En fait, comme notre syndicat et notre fédération ne cesse de le rappeler aucune ne peuvent faire date. La seule chose qui devrait le faire c’est la liberté pédagogique. Celles des équipes. Pas celles des cadres intermédiaires qui sont sinon comme nous le voyons déjà transformés en courroie de transmission de l’idéologie politique au pouvoir. Confier cette liberté pédagogique aux équipes d’enseignants c’est aussi protéger les cadres intermédiaires en recentrant leurs missions sur la mise à disposition des enseignants d’une veille régulièrement actualisées des conclusions scientifiques, statistiques et pédagogiques. La préparation aux concours ne doit pas être une excuse pour renvoyer à la responsabilité de chaque enseignant la tâche de passer des heures à effectuer cette veille. Tous ne souhaitent pas changer de grade par contre la très grande majorité souhaitent améliorer leurs pratiques. La masterisation du recrutement doit permettre ensuite de donner aux enseignants les compétences nécessaires à cette autonomie d’interprétation cruciale pour échapper à toutes influences politiques néfastes pour l’efficacité de notre système scolaire. Affirmer comme nous l’entendons déjà que le recrutement des enseignants par les chefs d’établissement renforcera l’autonomie pédagogique des établissements est donc une pure idéologie qui ne tient pas compte des enjeux relationnels, institutionnels et politiques.
L’augmentation de 10 % du prix des licences UNSS faisant porter toujours un peu plus le poids du fonctionnement des AS sur les familles est une vision stérile.
Une note récente de France Stratégie, l’organe institutionnel chargé de réaliser des études et des expertises pour le 1er ministre, vient de s’intéresser plus particulièrement aux Temps et lieux Tiers comme les CLSH, maisons de quartier, clubs de sport, théâtres, … qui avec l’école et le temps passé en famille participe pour 25% de leur temps à l’éducation des jeunes de 11 à 17 ans. Sa conclusion attire l’attention du 1er ministre sur la possible utilisation des enseignants d’EPS à travers l’UNSS pour renforcer la prise en charge des enfants de milieux défavorisés lors de ces temps extrascolaires. En effet, l’UNSS est un outil atypique car il crée une interface efficace entre l’école et le milieu associatif grâce à la continuité de service permise entre ces deux espaces par l’ORS mixte des enseignants d’EPS contenant un forfait socio éducatif d’UNSS. C’est ainsi près d’1 million de collégiens et de lycéens dont 40 % de filles qui peuvent pratiquer dans un espace où la mixité sociale restent encore forte contrairement à tous les autres lieux tiers comme le démontre également une note récente sur le séparatisme sociale en cours entre les classes moyennes et les classes populaires de la fondation Jean Jaurès. C’est par conséquent une très mauvaise idée d’augmenter la participation des familles car une très forte corrélation existe entre le prix modique de la licence et le succès de l’UNSS. Les expériences y compris en Guadeloupe nous montre d’ailleurs également au lycée et dans des sections professionnelles que la gratuité peut avoir un impact très significatif sur l’engagement des élèves dans les AS. Le SNEP-FSU a été le seul à voter contre cette augmentation de la participation des familles lors du dernier CNUNSS pour ces raisons, arguant qu’un euro versé dans l’éducation c’était 3 euros récupérés ensuite par la société en externalités positives. Les politiques de réduction des moyens financiers dans l’éducation sont donc de pures idéologies qui ne résistent pas à l’épreuve des faits économiques.
En conclusion, si la réflexion professionnelle est indispensable pour agir localement et ce séminaire apporte sa pierre à l’édifice, nous ne devons pas oublier que de nombreuses décisions influençant nos pratiques de tous les jours sont prises à des niveaux supérieurs dans lesquels les intérêts de la profession sont mis à mal actuellement par un refus caractérisé de la démocratie sociale et de l’expertise qu’elle apporte. Le mépris actuel pour les organisations syndicales caractérisé par une forte idéologie néo libérale et des prises de décisions unilatérale d’une haute fonction publique reconvertie en hommes et femmes politiques nous offrent une vision pessimiste de la séquence de réforme qui s’ouvre devant nous. Les mobilisations syndicales massives qui se déroulent actuellement nous montre d’ailleurs que ce point de vue est partagé par de nombreux secteurs d’activité. Il nous faut par conséquent nous mobiliser et peser lors des prochaines manifestations unitaires du 1er et 3 mai pour rappeler à nos dirigeants que si ils ont décidé de s’occuper uniquement de la France qui va bien, nous, en tant qu’enseignants, nous devons nous occuper de tous et nous ne pouvons accepter que certains de nos élèves puissent être considérer comme des « riens ». C’est l’honneur de nos missions de fonctionnaires au service de l’intérêt général.
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